La proposition de loi de Laurent Duplomb (LR) visant à « Lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », a été discutée ce lundi 27 janvier au Sénat. Les nombreuses régressions que contient ce texte sont un condensé des démarches et pratiques les plus néfastes défendues par l’agro-industrie, qui a pourtant montré ses limites et ses dangers.
Parmi les mesures débattues, la réautorisation des néonicotinoïdes, des insecticides interdits depuis la loi Labbé de 2016, que nous avons dénoncée comme un contresens historique.
Au final, une réautorisation à titre dérogatoire a été votée (usage limité dans le temps, en l’absence de solutions différentes « suffisantes ») sur laquelle la ministre de l’Agriculture Annie Genevard a rendu…un avis de sagesse !
Un dispositif scandaleux alors que leur dangerosité pour la santé, les pollinisateurs et les écosystèmes aquatiques est largement établie par la science. Cette montée du déni environnemental, où les faits scientifiques ne sont qu’une opinion comme une autre, m’inquiète particulièrement.
En matière de pesticides, la proposition de loi prévoyait également de revenir sur deux autres règles en vigueur : la séparation des activités de vente et de conseil aux agriculteurs sur l’achat de produits, ainsi que l’interdiction des rabais sur leur prix. Sur ce dernier point, le gouvernement a posé son veto et n’a pas été adopté.
Mais ce débat a largement écarté les questions de santé publique et environnementale, au profit d’impératifs économiques court termistes.
Cette proposition intervient alors que le marché des pesticides se porte à merveille, contrairement à celui de la bio. Pour la seule année 2022, 68 000 tonnes de substances actives de produits phytosanitaires ont été vendues, faisant de la France le second utilisateur de pesticides en Europe. Elle est même le troisième pays européen autorisant le plus de substances chimiques.
L’article 3, qui veut « simplifier la vie des éleveurs », introduit une série de garde fous pour les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE) d’élevage avec une révision à la hausse des seuils déclenchant les obligations d’autorisation environnementale, permettant des extensions des fermes-usines sur simple déclaration. Le rapporteur a en plus réduit à peau de chagrin la consultation du public, déjà fortement affaiblie par loi Industrie verte, et ce, pour tous les projets soumis à autorisation environnementale, pas seulement les ICPE agricoles.
Enfin sur la question cruciale de l’eau, outre l’automaticité néfaste de l’intérêt général majeur pour les méga-bassines que le texte établi, nous sommes très inquiets de la remise en cause de la hiérarchie des usages de l’eau. Elle fait peser plusieurs menaces, à la fois sur l’approvisionnement en eau potable pour la population et sur le bon état qualitatif et quantitatif des milieux
Au final, l’ensemble du texte contrevient au principe de non régression du droit de l’environnement que la loi Biodiversité du 8 août 2016 a consacré, qui ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante.
Outre les points évoqués, nous pouvons ajouter la mise à mal de l’indépendance de l’ANSES, qui, dans sa réécriture en commission, reste incompatible avec le droit de l’UE, au moins partiellement. Ou encore une nouvelle définition des zones humides, qui réduit leur protection.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous avons déposé une exception d’irrecevabilité, car nous estimons que ce texte contrevient sur de nombreux points à la Charte de l’environnement et au droit de l’union européenne.
Ce texte nous paraît aller contre le sens de l’Histoire. Alors que les sécheresses, les preuves sur les impacts des pesticides, la pollution de notre ressource en eau, devraient nous pousser à accélérer la transition, on voudrait, par ce texte, nous contraindre à ralentir. Pire, on nous propose même de faire marche arrière, et de revenir sur les – trop rares – avancées de ces dernières années.
Le texte sera sans nul doute examiné ces prochains mois à l’Assemblée nationale, nous espérons que nos collègues député.e.s pourront mettre un frein à ces graves régressions.
Un article de Reporterre sur le sujet : https://reporterre.net/Agriculture-cette-loi-ecocide-que-le-Senat-s-apprete-a-voter